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Newsletter Orkyn' N°9

Infections en lien avec les nouvelles thérapies (Anticorps bispécifiques et CAR-T cell)

Par le Dr B.Herbraud
 

La prise en charge des hémopathies lymphoïdes malignes a été grandement modifiée ces dernières années chez les patients en rechute et réfractaire par de nouvelles immunothérapies basées sur les CAR-T cells (anti-CD19 pour les lymphomes B, anti-BCMA pour les myélomes) et les anticorps bispécifiques  (BsAb) (CD19-CD3 pour les lymphomes BCMA-CD3 ou GPRC5D-CD3 pour les myélomes). Ces nouvelles molécules et thérapies cellulaires ont obtenu des taux de réponses inédits chez ces populations habituellement avec un pronostic sombre ; mais leur efficacité est contrebalancée par des  taux d’infections préoccupants.  

Ces « T-cell redirecting strategies » induisent une dysfonction du système immunitaire comprenant une hypogammaglobulinémie profonde du fait d’une aplasie cellulaire B, des épisodes de neutropénies, une modification des sous-populations lymphocytaires avec une diminution du taux de CD4. 
L’incidence des infections  grade 3 chez les patients recevant des CAR-T CD19 varie de 18 à 56% dans les essais cliniques. Concernant les thérapies visant le BCMA les taux d’infections grade ≥3 sont évalués à 40% pour les BsAb dont 4% grade 4 et 7% grade 5 dans la cohorte rétrospective contre 26% pour les CAR-T (seulement grade 3) avec un impact du temps à 12 mois avec  une différence significative en défaveur des BsAb du fait de leur modalité d’administration continue jusqu’à rechute.   
Les types d’infections rencontrées sont globalement similaires pour les 3 types de thérapeutiques : majoritairement bactériennes 49% et virales 48%, rarement fongiques 1% et parasitaires 1%. Les germes rencontrés étaient des entérobactéries gram-négatif et entérocoques gram-positif, du clostridium difficile. Des réactivations du CMV et des virus herpes survenaient dans 1 à 2% des cas et ainsi qu’un un nombre significatif de COVID-19. Les cas de pneumocystose étaient anecdotiques.

Des facteurs de risque de survenue des infections ont été constatés : 

Liés à l’hôte 

  • Le caractère avancé et réfractaire de la maladie avec de nombreuses lignes thérapeutiques préalables ainsi que leur nature (corticothérapie massive).
  • des antécédents d’infections sévères 
  • les sujets âgés

Liés à la thérapeutique 

  • Neutropénies : plus fréquente chez les patients traités par CAR-T (98% de neutropénies grade 3-4 dans le 1° mois) contre  12% dans la tranche 9/12 mois ; plus occasionnellement pour le BaSb.. La survenue d’un CRS ou d’un ICANS sévère sont associés à un retard de reconstitution hématologique
  • Hypogammaglobulinémie , définie par un taux  d’IgG <4g/. L’incidence varie de 20 à 90% selon les traitements et les études. Toutefois pour des taux comparables de gammaglobulines résiduelles le taux d’infection est plus fréquent pour les BaBS . Parmi  les malades ayant développé  une infection de grade 5   le taux  de gammaglobulines  était < à 2g/l
  • Survenue d’un ICANS ou d’un CRS à fortiori sévère : favorise les infections en induisant une neutropénie, ainsi que du fait de leur traitement  immunosuppresseur, corticostéroïdes et tocilizumab

Stratégies préventives : 
Des stratégies de prévention primaires sont globalement admises au niveau international : 

  • anti zostérienne avec du valaciclovir, 
  • anti Pneumocystiis jiroveci par trimethoprim-sulfametoxazole 
  • affections pulmonaires bactériennes  par amoxicilline 

 La durée de ces traitements est de 6 à 12 mois pour les CAR-T cell et sans interruption le temps du traitement par BsAb.

  • Pour les patients porteurs du virus de l’hépatite B (HBs Ag positif) l’usage d’entecavir doit être envisagé 
  • Les vaccinations contre la grippe, la Covid-19 et le  pneumocoque sont recommandées, si possible avant l’initiation du traitement.
  • Immunoglobulines humaines polyvalentes (IgIV) jouent un rôle fondamental dans la stratégie de prévention primaire. Elles sont souvent mises en place si le taux de gammaglobulines (ou d’IgG) est inférieur à 4g/l. Avec les  BsAb les IgIV peuvent être utilisées  systématiquement dès leur introduction indépendamment du taux de gammaglobulines. Leur intérêt en prévention secondaire est  discuté 

L’usage de ces immunothérapies de 2° génération dans les hémopathies lymphoïdes s’est accompagné de la survenue fréquente d’infections graves, plus particulièrement avec les BsAb dans le myélome. Des stratégies de préventions complexes mais efficaces ont été mises en place avec un rôle majeur des IgG IV. Ces 2 articles montrent les progrès que la communauté hématologique a réalisé ces dernières années vis-à-vis de ces infections, permettant l’élaboration de ces recommandations claires  pour leur prise en charge et leur prévention. 

Sources bibliographiques :

[1] Comparison of Infectious Complications with BCMA directed  Therapies  in  Multiple  Myeloma. 
Nath K. et al Blood Cancer Journal (2024)14:88 https://doi.org/10.1038/s41408-024-01043-5&nbsp;

[2] Infectious complications, immune reconstitution, and infection prophylaxis after CD19 chimeric antigen receptor T-cell therapy .Wudhikarn K. Bone Marrow Transplant (2022) 57:1477–1488; https://doi.org/10.1038/s41409-022-01756-w&nbsp;