Newsletter Orkyn' N°9
Risque infectieux lié à l'utilisation des CAR-T dans les maladies auto-immunes
Müller F, et al. CD19 CAR T-Cell Therapy in Autoimmune Disease - A Case Series with Follow-up. N Engl J Med. 2024 Feb 22;390(8):687-700. doi: 10.1056/NEJMoa2308917. PMID: 38381673.
Les thérapies cellulaires innovantes, initialement développées en hématologie pour cibler les cellules lymphocytaires tumorales, suscitent un intérêt croissant en immunologie, notamment dans la prise en charge des maladies auto-immunes (MAI). L'idée théorique repose sur l'élimination des cellules auto-réactives productrices d'auto-anticorps, permettant ainsi un « reset » du système immunitaire et une purge des cellules pathogènes. Dans ce contexte, l’utilisation des CAR-T anti-CD19 pour traiter les MAI révèle des premiers résultats prometteurs. En effet, les patients traités pour des formes réfractaires de MAI présentent une nette amélioration clinique avec un contrôle prolongé de leur maladie.
Plus de 100 études cliniques actuellement en cours sont référencées dans ClinicalTrials.gov sur l’utilisation des CAR-T dans les MAI.
Toutefois, le risque infectieux associé à ces thérapies lymphodéplétantes reste à évaluer. Il s'ajoute aux risques infectieux propres à chaque MAI et à l'immunodépression antérieure des patients. Le protocole prévoit ainsi une chimiothérapie lymphodéplétante (à base de fludarabine et endoxan), suivi de l’administration des cellules T anti-CD19 autologues modifiées du patient. En plus de ces traitements, des thérapeutiques immunosuppressives (corticoïdes, anti-IL6) peuvent être ajoutées en cas de syndrome de relargage cytokinique induit après l’administration du traitement.
Données récentes sur le risque infectieux des CAR-T dans les MAI
En février 2024, Muller F. et al. ont publié dans le New England Journal of Medicine une étude portant sur 15 patients traités par CAR-T anti-CD19 pour diverses MAI :
- Lupus érythémateux systémique (LES) : 8 patients
- Myosite inflammatoire idiopathique (IIM) : 3 patients
- Sclérodermie systémique (SSc) : 4 patients
Avec une durée médiane de suivi de 15 mois (4 à 29 mois), l'étude a permis d'identifier les infections selon leur temporalité :
- Infections précoces (< 3 mois) : infections urinaires, pneumonies (dont haemophilus et pneumocoque), infections des voies respiratoires supérieures (SARS-CoV-2, VRS) et un cas de cellulite.
- Infections à moyen terme (3-12 mois) : otites, infections respiratoires persistantes et réactivation de l'herpès zoster.
- Infections tardives (> 12 mois) : quelques cas de réinfection par le SARS-CoV-2 et de zona, mais aucune infection bactérienne sévère rapportée.
De façon notable, il n’y avait pas d’infections opportunistes (Pneumocystis jiroveci ou Fongiques) comme cela peut être le cas au cours des hémopathies malignes.
Mécanismes du risque infectieux après l’utilisation de CAR-T anti-CD19 dans les MAI :
Aplasie lymphocytaire transitoire
- Une lymphopénie marquée survient après la chimiothérapie lymphodéplétante (fludarabine et cyclophosphamide), avec un nadir de la numération leucocytaire atteint en 6,8 jours et une reconstitution en moyenne en 12,2 jours.
- La repopulation des cellules B après CAR-T prend environ 112 jours dans les MAI (138 jours chez les patients préalablement traités par thérapies anti-B et 86 jours pour les autres), contre 12 à 18 mois dans les hémopathies, ce qui suggère un risque infectieux plus court.
Hypogammaglobulinémie modérée
- Il existe une réduction des IgG (-41 %), IgA (-61 %) et IgM (-32 %) principalement au cours des trois premiers mois post-thérapie, puis on note une stabilisation.
- Contrairement aux hémopathies, où 60 % des patients présentent une hypogammaglobulinémie avant la thérapie CAR-T, les MAI préservent mieux l'immunité humorale. Après la thérapie CAR T, le pourcentage augmente à 91 %, avec une diminution moyenne des niveaux d'IgG de 587 mg/dL à 362 mg/dL d’après une étude portant sur 579 patients atteints d’hémopathies malignes du JACI en 2025.
- L'étude du NEJM montre que la majorité des anticorps vaccinaux (tétanos, pneumocoque) sont conservés, suggérant une préservation des plasmocytes à longue durée de vie. La question de la mise à jour des vaccins (dTP, coqueluche) et de la vaccination anti-SARS-Cov2, anti-grippale, pneumocoque, haemophilus et éventuellement anti-zosterienne doit être posée lors du recours à ce type de thérapies.
Impact des traitements antérieurs
- Les patients ayant reçu du rituximab avant la thérapie CAR-T présentent un risque légèrement accru d'infections précoces, en raison d'une reconstitution B plus lente.
Au total, les patients atteints de MAI diffèrent de ceux traités en hématologie par plusieurs aspects :
- L'absence de pathologie hématologique maligne (ex. myélome) limitant le risque infectieux.
- Les traitements antérieurs : immunosuppresseurs vs. chimiothérapies lourdes.
- L'âge des patients : plus jeunes dans les MAI que dans les hémopathies.
- La reconstitution immunitaire plus rapide, réduisant la durée d'immunodépression profonde.
Pour limiter le risque infectieux post-CAR-T dans les MAI, plusieurs mesures peuvent être recommandées :
- Surveillance clinique rapprochée, notamment pour les infections respiratoires et les réactivations virales.
- Prophylaxie anti-infectieuse : Aciclovir et cotrimoxazole pendant au moins trois mois post-thérapie.
- Suivi du taux d'Ig, avec administration d'immunoglobulines si nécessaire en cas d'hypogammaglobulinémie sévère (< 4 g/L).
En conclusion :
Le risque infectieux associé aux CAR-T dans les MAI semble modéré, principalement lié à l'hypogammaglobulinémie et à la lymphopénie transitoire. Une surveillance prolongée reste essentielle, notamment pour la gestion des infections respiratoires et des réactivations virales. Cependant, comparé aux hémopathies, l'immunodépression induite est plus courte, suggérant un profil de risque infectieux plus favorable. Enfin, soulignons le risque évoqué de lymphomes T secondaires à l’utilisation des CAR-T qui nécessitera une surveillance accrue d’autant plus pour une utilisation hors hématologie (alerte de la FDA en 2024 et publications récentes dans le NEJM en Février 2025).
Autres références :
- Guffroy A, Jacquel L, Guffroy B, Martin T. CAR-T cells for treating systemic lupus erythematosus: A promising emerging therapy. Joint Bone Spine. 2024 Sep;91(5):105702. doi: 10.1016/j.jbspin.2024.105702. Epub 2024 Feb 7.
- Sutherland NM, et al. Association of CD19+-targeted chimeric antigen receptor (CAR) T-cell therapy with hypogammaglobulinemia, infection, and mortality. J Allergy Clin Immunol. 2025 Feb;155(2):605-615. doi: 10.1016/j.jaci.2024.10.021.
- Perica K, CD4+ T-Cell Lymphoma Harboring a Chimeric Antigen Receptor Integration in TP53. N Engl J Med. 2025 Feb 6;392(6):577-583. doi: 10.1056/NEJMoa2411507.