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Newsletter Orkyn' - Avril 2024

Manifestations digestives associées au DICV dans le registre American Usidnet 

Par Dr Aurélien Guffroy

Lauren E. Franzblau · Ramsay L. Fuleihan· Charlotte Cunningham‑Rundles · Christian A. Wysocki - Journal of Clinical Immunology (2024) - Doi : 10.1007/s10875-023-01604-6

Le DICV (Déficit Immunitaire Commun Variable) est un syndrome caractérisé par l’existence d’une hypogammaglobulinémie primitive et d’un défaut de maturation lymphocytaire B qui se traduit par un défaut de réponse aux pathogènes encapsulés et polysacharidiques (pneumocoque, haemophilus) que l’on peut évaluer sur le défaut de réponse vaccinale. Ce déficit immunitaire est le plus fréquent des DIP symptomatiques de l’adulte avec un pic d’incidence entre 20 et 40 ans. Au plan physiopathologique, le DICV est une maladie hétérogène avec différents mécanismes moléculaires impliqués dans la maturation lymphocytaire B et/ou la coopération lymphocytaire T/B dans les organes lymphoïdes secondaires. Cela se traduit par le fait que seulement 5 à 30% des cas (selon les séries) ont une étiologie monogénique caractérisée. 

Au plan phénotypique, il existe plusieurs profils de patients parmi lesquels environ 30% vont développer des complications auto-immunes (cytopénies auto-immunes en premier lieu), lymphoprolifératives (bénigne ou maligne) ou bien encore digestives. Ce sont ces complications non-infectieuses qui grèvent actuellement le pronostic et font la morbi-mortalité de la maladie.

Dans cet article, Franzblau et al. rapportent les données concernant les complications digestives du DICV issues du registre USIDNET aux Etats-Unis. Ils analysent 1415 patients avec un DICV parmi lesquels 20% présentent des complications digestives. Parmi ces manifestations, la diarrhée chronique (60%) est la manifestation la plus fréquente, suivie par les colites inflammatoires et les entéropathies crohn-like (31 et 21% respectivement). Les syndromes de malabsorption et les maladies cœliaques viennent à la suite. S’il n’y avait pas de différence en termes d’indice de masse corporelle entre le groupe avec ou sans manifestations digestives, les patients présentaient cependant un score d’état général diminué (score de Karnofsky-Lasky à 80,2 vs. 87.1, p=0,003) et plus fréquemment des carences en vitamines B12 et en vitamines D (respectivement 1% vs. 0,3% et 7% vs. 1%, p<0,05). Jusqu’à 4% des patients avec complications digestives présentaient une supplémentation entérale et 3% une supplémentation parentérale contre seulement 1% de chaque dans le groupe sans complications digestives (p<0,05). De façon intéressante, les patients avec des complications digestives sont aussi ceux qui vont présenter le plus d’autres complications extra-infectieuses : hématologiques (dont 6% de lymphomes malins), granulomateuses, auto-immunes. L’association avec des manifestations inflammatoires pulmonaires (type pneumopathies interstitielles) était deux fois plus fréquente que dans le groupe sans atteinte digestive. En particulier, les taux de complications digestives hépatiques (hépatite auto-immune, cirrhose, granulomatose d) sont particulièrement élevés (14%), pouvant se compliquer d’insuffisance hépatique. 

47% des patients ont bénéficié d’une endoscopie digestive haute et/ou basse, considérée comme normale dans la moitié des cas. Les anomalies histologiques les plus fréquentes étaient un amincissement villositaire et/ou une augmentation des lymphocytes épithéliaux dans l'intestin grêle, une inflammation des cryptes colique, une hyperplasie lymphoïde, et une colite lymphocytaire ou microscopique.

Sur le plan moléculaire, seulement 5% des patients avaient un diagnostic génétique (rapporté ). Les mutations les plus fréquentes chez les patients atteints de troubles digestifs étaient des mutations de TACI, CTLA4, PIK3CD, NFKB2 sans que l’on puisse véritablement établir de corrélations précises en raison de la faible proportion de patients caractérisés. 

Sur le plan thérapeutique, différents types de traitements étaient utilisés chez ces patients, en particulier immunosuppresseurs (corticoïdes, AZATHIOPRINE, rituximab en tête) mais les données d’efficacité et de tolérance n’étaient que peu renseignées dans ce registre.   La reconnaissance de certains mécanismes moléculaires sous-jacent pourrait ouvrir la voie à une approche plus ciblée (par exemple par abatacept, belatacept dans l’haploinsuffisance de CTLA4 ou bien encore le blocage de l’IL6 par le tocilizumab ou des voies JAK/STAT par les JAKi dans les gains-de-fonctions de STAT3). Cependant, à l’heure actuelle, le diagnostic étiologique reste faible et les thérapies utilisées sont encore peu ciblées (cortisone, immunosuppresseurs conventionnels). 

Sur le plan physiopathologique, les mécanismes qui conduisent aux manifestations digestives dans le DICV sont probablement multiples. Il a été évoqué : 1°) L’implication du microbiote et d’un défaut de la barrière intestinale avec un risque accru de translocation digestive conduisant à une activation immunitaire chronique ; ce mécanisme pourrait en partie être lié à un défaut relatif en IgA au niveau de la muqueuse digestive 2°) Un excès de réponse Th1 et Th17 avec l’implication de cytokines pro-inflammatoire (IFN de type I et II, IL12, ainsi que diverses chémokines) et un défaut de réponses T régulatrices et d’expression de CTLA4 ; 3°) l’implication de lymphocytes B atypiques CD21low CD38low enrichis en cellules auto-réactives que l’on retrouve chez les patients avec des complications auto-immunes.

En conclusion, cette étude sur un large registre Nord-Américain de patients DICV confirme la prévalence élevée des complications digestives (20%) et l’association avec d’autres manifestations dysimmunitaires (autoimmunité, lymphoprolifération/lymphomes, manifestations granulomateuses) qui grèvent le pronostic de la maladie. Les complications digestives des DICV sont fréquentes et de prise en charge difficile. Le diagnostic est complexe et sans doute sous-estimé. Les endoscopies digestives peuvent se révéler normales malgré l’atteinte inflammatoire (exemple de l’haploinsuffisance CTLA4 dans laquelle l’atteinte peut être plus profonde au niveau de la sous-muqueuse et plus difficile d’accès aux biopsies, comme cela peut être le cas dans la maladie de Crohn). La prise en charge des complications digestives des DICV est compliquée et les espoirs reposent sur une meilleure compréhension de la physiopathologie pour guider le choix de thérapeutiques ciblées.  

Les limites de cet article sont celles des données de registre avec un manque de données disponibles sur certains aspects précis de l’atteinte digestive. De plus, les données de complications infectieuses digestives propres au DICV ou la survenue de cancers digestifs dont on sait l’augmentation du risque au cours du DICV ne sont pas renseignés. Enfin, l’absence de données de suivi est aussi une des limites de ce type d’étude qui appelle néanmoins à ne pas négliger la prise en compte du problème digestif chez nos patients atteints de DICV.