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Newsletter Orkyn' | Septembre 2024

Rôle de l'axe IL27 dans les infections à EBV révélé par le déficit en IL27RA

Par Dr A.Guffroy

Emmanuel MARTIN, Sarah WINTER, Cécile GARCIA, Kay TANITA, et al. Nature (2024)Doi : 10.1007/s10875-023-01604-6

Le virus EBV est un gamma-herpes virus avec un potentiel pro-oncogène. L’infection par EBV est quasi-ubiquitaire avec une prévalence de plus de 90% de personnes infectées à l’âge de 25ans. Le virus EBV touche principalement les cellules épithéliales de la sphère ORL ainsi que les lymphocytes B dans lesquels il peut rester sous forme latente durant la vie entière de l’hôte. Cependant, il arrive que l’infection persistante à EBV se complique de maladies cancéreuses, principalement de lymphomes B. L’infection à EBV peut aussi être responsable d’un tableau hyperinflammatoire aiguë appelé syndrome d’activation macrophagique (SAM) ou HLH (haemophagocytic lymphohistiocytosis). Enfin, la réplication EBV peut se poursuivre de façon chronique dans certains lymphocytes T et NK et donner des tableaux de lymphoprolifération T/NK chroniques (CAEBV). Ces complications rares témoignent de la nécessité d’un contrôle constant du système immunitaire sur les cellules B infectées par EBV. La réponse immunitaire anti-infectieuse contre EBV est principalement le fait des lymphocytes T cytotoxiques (LTc) dont l’expansion peut représenter 40% des LT circulants lors de la phase aiguë de l’infection (mononucléose infectieuse). Au sein des déficits immunitaires primitifs, il existe un groupe qui se caractérise par une susceptibilité aux infections par EBV et qui se traduit par des mononucléoses infectieuses sévères, des SAM et une susceptibilité aux hémopathies malignes EBV induites. La découverte de ces déficits immunitaires a permis de mieux comprendre les mécanismes de réponse immunitaire anti-EBV aigue et chronique. 

Dans ce papier, Martin et al. rapportent un nouveau déficit immunitaire prédisposant aux infections à EBV à travers l’étude de deux familles atteintes par un défaut biallelique d’IL27RA. La première famille comporte deux individus atteints avec une mutation stop qui résulte en une perte de fonction complète et l’absence d’expression du récepteur à la surface des lymphocytes T. Dans la seconde famille une mutation hétérozygote composite affecte un individu avec une mutation faux-sens (également retrouvée enrichie dans la population finlandaise avec 15 patients/400,000 retrouvées homozygotes dont 2 ont fait une mononucléose sévère) et une seconde mutation qui altère l’épissage du transcrit de la protéine. La perte de fonction a été validée in vitro par l’absence d’expression membranaire du récepteur IL27RA chez les patients et par une abolition de la phosphorylation de STAT1 et 3 (en aval du récepteur) dans les lymphocytes T stimulés par IL27. Plus précisément, la mutation faux sens est hypomorphe, comme l’atteste l’expression variable dans la population finlandaise et comme le confirme l’expression protéique partielle dans les cellules transduites avec un vecteur comportant le gène IL27RA porteur de cette mutation. Cependant, la co-expression avec la seconde mutation chez le patient aboutit aussi à une perte de fonction complète et aucune activité résiduelle de l’IL27RA n’est détectée dans les lymphocytes T du patient. 

Le phénotype clinique de ces patients est celui d’une mononucléose sévère et prolongée qui se manifeste par de la fièvre, une cytolyse hépatique, une splénomégalie et une lymphocytose persistante avec un haut titre de réplication virale. Cependant, les patients ne présentent pas de complications aiguës de type HLH/SAM et ne semblent pas avoir de susceptibilité aux complications tardives (lymphoprolifération malignes) avec le bémol du faible effectif et du recul disponible pour ces 3 patients (entre 3 et 17 ans). Les patients présentent à distance de l’épisode infectieux, un immunophénotypage lymphocytaire standard sub-normal avec néanmoins, une baisse des lymphocytes T mémoires effecteurs CD4 et CD8 et une baisse des lymphocytes B mémoires sans diminutions des IgG (discrète baisse des IgA chez un seul patient). 

Dans la suite du papier, les auteurs se sont intéressés à l’axe IL27/IL27RA récepteur dans la réponse anti-EBV.

Pour prouver le rôle de l’axe IL27/IL27RA dans l’infection par EBV, les auteurs ont étudié la réponse des lymphocytes T des patients en présence de lymphocytes B autologues infectés par EBV. Les patients déficients en IL27RA présentent des lymphocytes T CD8+ ayant une moins grande capacité lymphoproliférative et qui s’orientent plus rapidement vers un phénotype d’activation et d’épuisement (expression de molécules tels que CD25, CD137, PD1L, CD57 ou encore LAG3) avec une cytotoxicité diminuée.

Dans cette phase précoce de l’infection EBV, l’IL27 joue un rôle synergique dans l’activation du lymphocyte T (avec l’axe CD3/CD28/TCR), en particulier sur les lymphocytes T naïfs comme le montre une série d’expérimentation in vitro avec les lymphocytes T des patients déficients stimulés avec et sans IL27 et avec des doses croissantes d’anti-CD3. Ainsi, les lymphocytes T déficients en IL27RA prolifèrent moins que les cellules de témoins lorsque l’on stimule la cellule avec de l’anti-CD3 à dose modérée et de l’IL27. 

La source principale d’IL27 au cours de l’infection par EBV semble être le lymphocyte B infecté lui-même. Pour cela les auteurs ont regardé la production d’IL27 dans les lymphocytes B infectés par EBV (EBV marqué par de la GFP) versus des lymphocytes B non infectés (non marqués). Ils retrouvent un taux nettement augmenté de production d’IL27 dans les cellules infectées par EBV. De plus, les lymphocytes B déficientes en IL27RA prolifèrent moins efficacement et ont une moins grande durée de vie traduisant un effet autocrine de l’IL27 sur le LB infecté par EBV. Ce phénomène pourrait en outre expliquer l’absence de développement de lymphoproliferation maligne chez ces patients confinant les LB infectés à un état de latence prolongé.

Enfin, les auteurs de ce papier font le constat de la présence d’anticorps anti-IL27 bloquants, retrouvés chez les patients ayant présenté une infection sévère à EBV (mononucléose infectieuse sévère) ou une infection chronique à EBV (CAEBV) ainsi que dans certains déficits immunitaires avec auto-anticorps (STAT1 GoF). Ces anticorps, pourraient être induits ou leur production maintenue et amplifier lors de l’infection à EBV et expliquer en partie le défaut d’activation et de clairance de l’EBV chez ces patients avec une forme sévère d’infection à EBV. On connait le rôle des anticorps anti-cytokines au cours des infections virales sévères à travers l’exemple emblématique des anti-IFN de type I au cours des COVID sévères. Ici, le rôle direct des anti-IL27 neutralisants reste à préciser et à corroborer au sein de cohorte plus larges. 

En résumé, ce papier met en lumière le rôle de l’axe IL27/IL27RA chez les patients infectés par EBV, en particulier dans la phase précoce de l’infection. Il décrit le rôle de l’IL27 sur les LT cytotoxiques anti-EBV et dans le maintien d’un pool de cellules B EBV+ producteur d’IL27. Ce papier, suggère aussi que des auto-anticorps anti-IL27, produits au cours de l’infection ou de la réactivation EBV pourrait jouer un rôle de régulation au cours de la réponse immunitaire anti-EBV impliqué dans les formes sévères de mononucléose ou de lymphoprolifération chroniques T et NK EBV+.

Pour l’instant, seuls 3 patients sont rapportés avec un défaut sur l’axe IL27/IL27RA et il est trop prématuré d’assurer que cet axe est spécifique aux infections EBV. Il se pourrait en effet que l’exposition à d’autres pathogènes chez certains patients déficitaires puisse également entrainer des manifestations infectieuses sévères. La connaissance de ce nouveau déficit immunitaire et des mécanismes qui sont impliqués dans la réponse anti-infectieuse EBV permet néanmoins de mieux comprendre les manifestations cliniques et les complications (rares, mais parfois sévères) liés à EBV et ouvre de nouvelles pistes théoriques pour un contrôle thérapeutique (via le ciblage de l’IL27) des formes sévères des maladies médiées par EBV (en particulier lymphoprolifératives).