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Newsletter Orkyn' | Septembre 2024

Auto-anticorps anti-interleukine-23 et survenue d'un déficit immunitaire de l'adulte

Par le Pr J.C Couderc

Cheng A. et al. Anti-Interleukin-23 Autoantibodies in Adult -Onset Immunodeficiency. N Engl J Med 2024 ;390 :1105-17.

Divers auto-anticorps anti-cytokines sont tenus pour responsables soit de formes sévères d’infection (anti-IFN-ɤ lors du COVID-19) ou d’infections opportunistes (anti-GM CSF et survenue de cryptococcose ou de nocardiose). Le groupe du NIH de Steven Holland a recherché la responsabilité d’un autre auto-anticorps, anti-IL23, dans la survenue d’infections sévères, principalement chez des malades ayant un thymome.

Ce travail a été initié pour 3 raisons : 

  1. les résultats de l’exploration d’une malade initiale souffrant d’une bactériémie chronique et d’une lymphadénite à Burkholderia gladioli.
  2. L’observation chez les malades ayant un thymome d’infections bactériennes sévères ou opportunistes (infections différentes de celles classiques à germes encapsulés observées lors du Syndrome de Good, associant thymome et hypogammaglobulinémie) et la détection fréquente chez les malades ayant un thymome d’auto-anticorps dont aucun d’entre eux ( et notamment des anticorps anti-IL12, initialement suspectés) n’avait été corrélé à la survenue de ces infections sévères.
  3. l’importance de l’IL-23 dans le contrôle de l’inflammation tissulaire au niveau pulmonaire, cérébral cutané et digestif (expliquant l’utilisation d’anticorps monoclonaux anti-IL-23 chez les malades atteints de maladie inflammatoire digestive ou de psoriasis). La sécrétion de l’IL-23 par les macrophages alvéolaires et les cellules dendritiques est en outre particulièrement stimulée par les glucanes et les composants lipidiques des parois des mycobactéries et des champignons. L’IL-23 a un rôle prédominant dans l’immunité anti-mycobactérienne, démontré par des études de cas familiaux d’infections à mycobactéries. Les anticorps anti-IL-23 bloquent la signalisation intracellulaire de l’IL-23 médiée par STAT3 et STAT4 et entravent la production de plusieurs cytokines Th17 (GM-CSF, IL-17, IL-22) et Th1 (IFN-ɤ). Ces divers mécanismes sont rappelés dans un éditorial accompagnant l’article (Netea MG. et al. N Engl J Med 2024 ;390 :1143-46).

Les auteurs ont ainsi étudié 3 groupes de malades, dans un travail dont il faut souligner la complexité de lecture par les nombreux sous-groupes se recoupant parfois :

Un groupe expérimental :

30 malades connus comme ayant avec des anticorps anti-IL12 : 17 avec une infection sévère bactérienne intracellulaire, mycobactérienne ou mycotique, 13 étant indemnes d’infection ; la majorité ,25/30 (83%), avaient un thymome.Un titre similaire d’anticorps anti-IL12 est observé dans les 2 groupes, avec ou sans infection.

Des anticorps anti-IL23 sont retrouvés chez 23/30 (77%) des sujets. Une activité neutralisante vis-à-vis de la phosphorylation induite par l’IL-23 est observée chez 15/30 (50%) d’entre eux, le degré de l’inhibition étant corrélé à la sévérité de l’infection : plus l’activité neutralisante est importante, plus les infections sont sévères. Les anticorps anti-IL-23 inhibent l’induction synergique d’IFN-ɤ par l’IL-23 et l’IL-18 par les mucosal-associated invariant T (MAIT) cells avec un degré corrélé à la sévérité de l’infection : complètement bloquée chez ceux ayant une infection grave disséminée, uniquement diminuée chez ceux ayant une infection localisée, proche de la normale chez les autres.

L’activité neutralisante du plasma sur la phosphorylation de STAT3 et la production d’IFN-ɤ par les MAIT cells est levée après déplétion en IgG et après une déplétion spécifique en IgG anti-IL-23. La malade initiale a ainsi reçu du rituximab qui induisit une rémission ; après une rechute, simultanée à une réascension de l’activité neutralisante, la reprise du rituximab mensuellement pendant 6 mois a permis une nouvelle amélioration simultanément à une activité neutralisante basse.

Un groupe de validation :

Composé de 91 malades ayant un thymome : des anticorps anti-IL23 sont détectés chez 24 (26%) d’entre eux, une activité neutralisante de la phosphorylation de STAT3 est mise en évidence chez 17(19%) malades. Parmi ces derniers, 10 ont une infection opportuniste ou des pneumonies sévères récidivantes. Une absence d’activité neutralisante est constatée chez 64 de ces malades.
A noter que les taux sériques des immunoglobulines et le nombre de lymphocytes B et T sont identiques entre tous ces malades, qu’ils aient ou non une infection.

Une cohorte élargie :

Plusieurs groupes sont analysés : 

  1. 128 malades ayant des infections bactériennes sévères, mycobactériennes ou mycotiques sévères mais indemnes de thymome. Un anticorps anti-IL-23 est trouvé chez 6/32 (19%) des sujets avec une infection sévère à germe intracellulaire, chez 2/16 (12%) de ceux ayant une infection crânienne inhabituelle (l’un souffrant d’une méningo-encéphalite à Cladophialophora bantiana et l’autre d’une infection cérébrale à Mycobacterium avium chez un sujet infecté par le VIH mais ayant plus de 100 CD4+/ml), et chez 3/30 (10%) de ceux ayant une infection mycotique.
  2. Divers autres groupes de malades chez lesquels un anticorps anti-IL-23 n’est que rarement retrouvé : 7/753 (1%) sujets ayant un Covid-19, 1/65 (2%) malades ayant un syndrome APACED. Sa recherche est négative chez 25 sujets ayant une candidose cutanéo-muqueuse chronique ainsi que chez 68 patients infectés par le VIH.
    Des différences phénotypiques des infections existent entre les malades. Ceux ayant des anticorps neutralisants anti-IL-23 sont à risque accru d’infection, la nature et la sévérité des infections étant corrélées à l’importance de l’activité neutralisante des anticorps anti-IL23.
    Ce travail apporte une explication aux infections sévères observées chez certains malades ayant un thymome, ainsi qu’à la survenue d’infections intracrâniennes sévères et rares.
    Néanmoins, plusieurs réserves sont à émettre :
    • il existe des discordances entre les effectifs  de divers sous-groupes de malades dans l’article publié 
    • la prévalence des anticorps anti-IL-23 chez des sujets sains est inconnue comme le remarque Feredj E. et al dans une lettre au journal ( N Engl J Med 2024;391:188-7) ;
  3. La fréquence élevée d’infections chez ces sujets avec autoanticorps contraste avec la très faible fréquence des infections observées chez les malades traités par des anticorps anti-IL-23 pour maladie inflammatoire digestive ou psoriasis comme le font remarquer Rosmarin D. et al dans une autre lettre (N Engl J Med 2024;391:188-9), ce à quoi les auteurs répondent que les anticorps thérapeutiques utilisés sont différents des autoanticorps car il s’agit d’anticorps monoclonaux et non polyclonaux, ayant une activité restreinte à la sous-classe IgG1à la différence des autoanticorps, et qu’un anticorps monoclonal ayant une activité anti-p40 ( le briakinumab) a eu son usage interrompu du fait de la survenue d’infections ;
  4. L’absence d’étude chronologiquement longitudinale ne permet pas de connaitre l’évolution du taux des anticorps dans le temps et peut omettre la  survenue  de complications très tardives comme ceci a été rapporté chez des malades ayant des anticorps anti-GM-CSF comme le font remarquer les auteurs.
  5. Enfin l’intérêt d’induire une déplétion en lymphocytes B comme suggéré par le cas rapporté nécessitera d’être confirmé par un essai thérapeutique.