Newsletter Orkyn' | Novembre 2024
Une nouvelle maladie associe protéinose alvéolaire, maladie multikystique pulmonaire et susceptibilité aux infections à mycobactéries : le déficit héréditaire en CCR2 (C-C chemokine receptor 2)
Neehus A.L. et al. Human inherited CCR2 deficiency underlies progressive polycystic lung diseases. Cell 2024 ;187 :390-408
European Society for Immunodeficiencies ; 21st Meeting, 16-10 october 2024, Marseille, France. Oral communication Friday 18/10/2024.
La communication effectuée par Anna-lena Neehus se rapporte à un travail publié début 2024 dans la revue Cell, travail coordonné par le Dr Jacinta Bustamente du groupe du Pr Jean-Laurent Casanova ( Faculté Rockefeller, New York ; Necker-Enfants Malades , Paris).
Les auteurs ont étudié 9 enfants dont 7 sont répartis entre 3 fratries, les 2 autres étant des cas isolés. Deux sont originaires d’Algérie, 4 d’Iran et 3 des USA. Une consanguinité parentale est signalée dans 7/9 cas. Tous sont nés à terme, asymptomatiques
Les manifestations respiratoires sont apparues à l’âge de 5,1+/- 3,6 ans en moyenne : dyspnée d’effort progressive, toux, retard de croissance. L’examen clinique était sans particularité hormis un hippocratisme digital chez 4 d’entre eux. Les EFR montraient un syndrome obstructif non réversible se majorant progressivement.
Radiologiquement, le scanner thoracique montrait 2 types d’anomalies : des condensations pulmonaires nodulaires et périphériques ; des kystes bilatéraux, irréguliers, à parois fines, sous-pleuraux, prédominant dans les lobes supérieurs et augmentant en taille et en nombre au fil du temps. Les mesures de densité en inspiration et expiration suggéraient que ces kystes étaient en communication avec les voies aériennes.
Histologiquement, l’analyse de biopsies pulmonaires chirurgicales réalisées chez 2 malades montraient plusieurs anomalies :
- un aspect compatible avec une protéinose alvéolaire (PAP), avec du matériel éosinophilique et des cristaux de cholestérol présents dans les alvéoles et dans les kystes ;
- des kystes sous-pleuraux adjacents aux bronchioles terminales prédominant en périphérie dans les régions sous-pleurales ;
- un infiltrat péri-bronchiolaire lymphocytaire composés d’un mélange de lymphocytes T et B , auquel se rajoute de de la fibrose, contribuant à déformer et oblitérer les bronchioles. Cytologiquement, les macrophages alvéolaires n’étaient ni spumeux ni augmentés en taille, contrastant avec leur aspect usuel lors des PAP auto-immunes. Enfin l’analyse d’un LBA montrait que ces macrophages étaient en faible proportion, les pourcentages des lymphocytes et des neutrophiles étant à l’inverse accrus.
L’évolution est marquée par des infections : otites récidivantes (3 cas), lymphadénite post BCG (1 cas), BCGite disséminée (1cas), pneumonies récidivantes (4 cas), COVID-19 peu sévère dans 8 cas mais compliqué de détresse respiratoire chez un patient.
Biologiquement les investigations usuelles étaient normales (NFS, diverses populations lymphocytaires sanguines, taux sériques des immunoglobulines ) . La recherche d’une étiologie aux cas de PAP était négative (absence d’anticorps anti-GM CSF et de mutations dans les divers gênes connus comme associés à une PAP).
La connaissance chez la souris de l’importance du récepteur CCR2 dans le homing des monocytes a conduit à étudier son rôle dans le recrutement et les fonctions des macrophages alvéolaires chez ces malades. Il sert de récepteur principal pour la chémokine C-C ligand (CCL-2). Il est exprimé sur les monocytes , les cellules dendritiques et les basophiles. Il existe 2 isoformes (A et B) qui différent par la taille de leur portion cytoplasmique.
Le séquençage par whole-exsome sequencing (WES) a mis en évidence des variants homozygotes pour le gène codant pour CCR2 chez 6 malades et hétérozygotes chez 3 . Aucun variant n’a été détecté pour l’ensemble des gènes connus pour être associés à la PAP ou à des déficits immunitaires innés. Tous les patients avaient les 2 isoformes A et B altérées.
L’évaluation des variants en utilisant la transduction lentivirale de cellules CCR2 KO a montré une absence d’expression de CCR2A et CCR2B et une altération de leur capacité fonctionnelle, notamment de migration des monocytes.
CCR2 qui est fortement exprimé sur les monocytes normaux, n’a pas été détecté sur les monocytes des malades avec mutation homozygote, et à un faible niveau sur ceux des hétérozygotes.CCL2 qui normalement stimule la migration des monocytes , n’a pas d’effet sur les monocytes des malades qui ne répondent donc pas à CCL2. Les monocytes normaux exprimant CCR2 internalisent et épurent CCL2 ; de manière logique, les taux de CCL2 chez les malades déficitaires en CCR2 étaient élevés dans le plasma, le sérum et le liquide de LBA. De même le taux de CCL2 était élevé dans les surnageants de cultures de monocytes émanant des malades. A l’inverse les concentrations en cytokines et chemokines pro-inflammatoires étaient normales de même que la phagocytose et la production de réactifs oxygénés , témoignant que le déficit en CCR2 est le mécanisme responsable des concentrations élevées en CCL-2.
Les complications survenues après vaccination par le BCG chez plusieurs malades ont conduit à étudier l’axe IFN-ɤ qui s’est avéré normal, sans détection d’anticorps anti-IFN et avec une réponse IFN-ɤ normale après stimulation par BCG, IL-12, IL-23. De même, l’axe GM-CSF est normal, sans détection d’anticorps anti-GM CSF et avec une réponse normale des monocytes après stimulation par GM-CSF. Les différentes lignées cellulaires sanguines, l’analyse phénotypique des diverses sous-populations lymphocytaires et des cellules dendritiques étaient normales. L’analyse cytologique médullaire réalisée chez 2 malades était normale, sans détection de clonalité. Le déficit en CCR2 n’altère donc pas l’hématopoïèse.
Un modèle développé à partir de macrophages dérivés de cellules pluripotentes a permis d’étudier l’expression de CCR2 lors des différents stades de l’hématopoïèse. L’expression de CCR2 a été détectée sur les précurseurs des monocytes et des cellules dendritiques, mais pas sur les cellules plus différenciées comme les macrophages. Cela suggère un rôle de CCR2 dans le homing des cellules jeunes monocytaires vers les macrophages tissulaires.
Cette hypothèse conforte la constatation d’un nombre bas de macrophages dans les liquides de LBA des malades ayant un déficit en CCR2, macrophages de différentiation normale d’après l’analyse de l’expression de 30 gènes responsables des marqueurs macrophagiques spécifiques. L’étude des marqueurs phénotypiques dans un modèle de cellules macrophages-like, avec ou sans un antagoniste de CCR2, n’a pas montré d’anomalies avec un antagoniste de CCR2 et les diverses fonctions macrophagiques (phagocytose, production de radicaux libres, sécrétion de cytokines pro-inflammatoires) étaient normales.
Ces résultats permettent d’expliquer les principales caractéristiques de ces malades :
- La PAP : en rapport avec une diminution du nombre des macrophages alvéolaires, diminution secondaire à un défaut de recrutement des monocytes déficitaires en CCR2 dans les alvéoles, mais sans altération fonctionnelle des macrophages.
- La susceptibilité aux infections mycobactériennes : conséquence de l’altération du recrutement de monocytes sur les sites infectieux en l’absence d’anomalies des axes classiques de défense anti-mycobactérienne, IFN-ɤ et GM-CSF.
- Les kystes pulmonaires : secondaires à l’engainement des bronchioles terminales par une bronchiolite lymphoïde folliculaire et une fibrose péri-bronchiolaire qui les déforment et les compriment, ces dernières étant en plus obstruées par le matériel lipidique de la PAP. Cette bronchiolite constrictive constitue une sorte de valve qui augmente la pression intraluminale des voies aériennes ce qui sera responsable secondairement d’une dilatation des alvéoles et de l’apparition des kystes. Cette topographie explique les caractères de ces kystes : diffus, bilatéraux , périphériques à début sous-pleural, de taille irrégulière, progressivement croissante. Seul le mécanisme de l’afflux péri-bronchiolaire de lymphocytes est mal expliqué actuellement.
Enfin, tous les malades ayant un taux élevé de CCL2, ce test pourrait être un test de screening chez les malades ayant une infection mycobactérienne ou une PAP et des kystes pulmonaires inexpliqués.
Ce travail, remarquable par la précision des investigations immunologiques, est original par la description d’une entité pneumologique nouvelle , et par la mise en évidence du rôle du déficit en CCR2 dans l’absence de migration de cellules monocytaires jeunes en macrophages pulmonaires matures, responsable d’un nombre insuffisant de macrophages alvéolaires, ces derniers étant fonctionnellement normaux.